GHOST DOG – Jim Jarmush

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Godard disant que « le cinéma, c’est la vérité 24 fois par seconde » ou Isabelle Giordano vantant qu’elle va « au cinéma pour voir la lumière », c’est du pareil au même pour souligner que le cinéma est capable de vous mettre une bonne baffe dans la tête. Et ghost dog fait partie de ces films qui font réfléchir sans trop donner le mal de crâne. Moi-même y ai réfléchi et c’est ainsi qu’on s’improvise critique de cinéma à deux francs dans une chronique artistique à la noix.

GDog

Ce n’est pas facile à dire, mais il faut le mentionner : ce film n’est pas un chef-d’œuvre. Ce qui est dit est dit mais cela n’empêche pas à ghost dog d’être un grand film. Il s’agit surtout d’un film complet : l’acteur Forest Whitaker est magistral, Jarmush maîtrise son sujet, RZA n’est décidément pas mauvais; la musique colle aux images qui restent en mémoire mais il faut surtout retenir le propos, d’une grande richesse, du cinéaste.

Ghost dog, c’est d’abord l’histoire d’un gros black bien balèse, sombre par ses habits ainsi que pour ses amis ; Jarmush est gentil car il ne cache pas quel bonhomme est ce Ghost Dog : un tueur à gages bien sympathique vivant selon les codes des samouraïs médiévaux que l’on va suivre dans la dernière ligne droite de sa vie. Il devient notre héros au cœur gros, il mourra au combat mais demeurera incompris par les autres. Jarmush nous dépeint un sacré personnage, une sorte de nounours bien dans ses baskets, qui chourre des voitures mais qui ne fait pas d’excès de vitesse avec. Il trimballe sa silhouette obscure comme un fantôme solitaire, marchant parmi les hommes comme s’il survolait le monde des autres, en dehors du monde matériel. Et c’est bien là son secret : il est devenu une sorte de mage méditant en ermite avec ses pigeons, un monstre d’impassibilité face à un univers de fou. Il lui faut seulement 7 respirations pour prendre une décision. Il a trouvé la voie, sa voie et s’y cantonne. Jarmush est quand même un drôle de rigolo : il fait de quelqu’un qui bute une bonne quinzaine de mecs, en moins d’une heure, un modèle de vertu et de sagesse. Ah si Socrate s’était bastonné avec ces cochons d’athéniens, il aurait été au moins deux fois plus populaire.

A l’illustration de ce personnage pas comme les autres, Jarmush oppose une caricature férocement drôle d’une des tribus les plus vieilles d’Amérique, la mafia italienne. La Cosa Nostra a perdu de sa superbe ; les beaux gosses gominés en Armani ont cédé la place à de vieux gros ritals en jogging occupant leur temps à jouer aux cartes ou à manger des pâtes.. Jarmush dresse un vidéo-gag de la mafia. Ouvertement xénophobe ( en comparant les rappeurs aux indiens dans un dialogue légèrement péjoratif), légerement arriérée, à l’ouverture d’esprit réduite, la tribu mafioso est devenue une micro-société figée. Plus à la mode, la mafia fait rire alors qu’avant elle faisait peur. D’ailleurs, eux mêmes le savent et ne désirent qu’être « tués comme de vrais foutus gangsters ».

Donc voilà les cadres du film planté : un tueur à gages en pleine bourre contre une milice de mafieux à bout de souffle. Un seul gentil contre de nombreux méchants, cela donne le western. Et en bon cinéphile, vous devriez savoir que l ‘environnement de la bastonnade est essentiel dans ce genre de film. Et là, jarmush livre un belle exemple de western urbain. L’histoire est plantée dans un décor urbain dés le début du film (dans le générique) et n’en sortira que pour un petit intermède campagnard, où tout le monde se déguise. Ghost dog, en VRP, les mafieux en notables. Et on les voit moins à l’aise dans cet exode urbain. La ville a une part importante dans le film et ce n’est pas impunément que le réalisateur la filme beaucoup. Les déambulations des différents personnages à travers la ville ne sont pas anodines. Je n’arrive pas à le formuler mais c’est comme qui dirait que la ville change les rapports humains. Elle dispose d’une force morale, d’une force humaine. On dit que la ville rend dingue. Mais je viens aussi de me rendre compte qu’elle bouleverse les mentalités, chamboule les équilibres. D’ailleurs, l’unique vrai dialogue entre les deux personnages principaux est calqué sur ce point de vue ; « tout change autour de nous, Louis » « rien n’a plus de sens de nos jours ». L’urbain modifie les rapports entre chacun et le fossé est notamment visible au niveau des générations. On voit un gamin balancer de sa fenêtre des projectiles en prenant pour cible une bande de pépés, un apprenti racketteur se faire corriger par un vieux chinois, l’impassibilité d’un jeunot face à l’ardeur juvénile d’une douzaine de tontons flingueurs. C’est la guerre urbaine. Les conflits entre générations se multiplient, les contradictions se généralisent. Les choses bougent et on voit même un vieux écouter du rap.

Désolé de me laisser aller dans ce trip d’analyse mais je vais continuer en vous parlant d’une théorie sur la communication dans ghost dog. Pêle-mêle et sans effort de style : à l’heure du wap, y a rien de mieux que le pigeon voyageur ; on parle beaucoup de Ghost Dog mais lui ne parle pas ; il échange ses premières paroles avec une gamine et entretient une drôle de conversation avec un chien errant (son semblable) ; les livres ont la parole et font objet de discussion ; son meilleur ami ne parle pas la même langue et ils établissent une nouvelle façon de communiquer (automatismes, se parlent avec les yeux). Le temps de parole a un rôle secondaire dans le film mais trouve néanmoins son fondement dans le strict minimum. On évite ainsi tout superflu ou banalités. S’intégrant dans le champ de la communication, ce serait un crime de ne pas parler musique. Elle est omniprésente et constitue l’alternance privilégiée face au mutisme du héros. Seul le hip-hop pouvait s’accorder avec l’esprit du film. Le virtuose RZA nous livre sa symphonie urbaine.

Jarmush a manifestement pas mal pensé son sujet. Toutefois il aurait pu éviter le flash-back inutile et récurrent. Même chose pour la dernière demi-heure du film qui apparaît comme un bonus alors que tout a été dit. Signalons aussi le léger fossé entre la puissance évocatrice de la BO et la relative faiblesse de la mise en scène (la séance d’entraînement au sabre et la scène de boucherie finale sont quand même très jolies). Restent en mémoire de belles images, comme quand ils mangent les glaces au chocolat en jouant aux échecs ou toute la série de dessins animés nous rappelant le bon vieux temps des Disney.

Sébastien Boulnois

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